Nazareth,
correspondance particulière.
L’armée israélienne menait hier matin " une opération de grande envergure " pour totalement isoler Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, avec des chars, des bulldozers et des hélicoptères qui ont ouvert le feu.
Selon la deuxième chaîne (privée) de télévision israélienne, l’armée aurait préparé un projet de creusement d’une énorme " tranchée de sécurité ".
La multiplication des offensives et des destructions de maisons par l’armée israélienne à Rafah, autorisées dimanche par la Cour suprême, ainsi que dans la bande de Gaza, donnent le sentiment aux Palestiniens d’une " Nakba continuelle " depuis 1948.
L’ensemble des Palestiniens ont commémoré ce week-end la catastrophe qu’a représenté à cette époque l’expulsion des deux tiers de leur peuple (plus de 750 000 personnes) par les forces sionistes dans les mois qui ont précédé et suivi la proclamation de l’État par Ben Gourion. Quelque 150 000 d’entre eux deviendront citoyens d’Israël.
Cinquante-six ans plus tard, ces Palestiniens citoyens d’Israël, qui représentent un cinquième de la population, partagent ce sentiment.
Cinquante-six ans après la Nakba, ceux que l’on appelle officiellement les " Arabes israéliens ", représentent 20 % de la population : " Nous n’avons pas choisi notre statut ", rappelle Mohammed Zeidan, de l’Association arabe pour les droits de l’homme (HRA), basée à Nazareth, la plus grande ville arabe israélienne. " Nous sommes devenus une minorité parce que la majorité de notre peuple a été expulsé. Vous ne pouvez comparer notre situation à celle par exemple de la communauté arabo-musulmane en France. Ici, nous sommes "les indigènes", nous étions ici avant l’établissement de l’État, c’est la majorité qui est venue s’installer chez nous ". Ce sentiment est largement présent dans les coeurs des Palestiniens d’Israël conscients du passé : " Cette histoire est vivante, insiste Mohammed Zeidan. Ces faits ne sont pas très vieux. Nous avons tous dans nos familles des parents réfugiés et des pères, des oncles pour nous en faire le récit. "
Cette communauté continue de faire face à de nombreuses discriminations, continuellement dénoncées sans être en général prises en considération. Alors que le taux de chômage réel est évalué à 20 % dans le secteur arabe, les autorités veulent fermer des bureaux de recherche d’emploi dans plusieurs petites villes de Galilée autour de Nazareth. Les associations des droits de l’homme démontrent comment, dans tous les domaines, #" il y a deux systèmes de légalité : l’un pour la majorité juive, l’autre pour les Arabes ". Ils restent perçus comme " une cinquième colonne " potentielle, comme l’a mis en lumière la commission Or dans son rapport sur les " événements " d’octobre 2000, au début de l’Intifada, qui a fait 13 morts parmi cette communauté lors de manifestations en soutien à leurs parents des territoires occupés. Évoquant " la violence excessive " utilisée par les forces de l’ordre, elle a souligné que " la police doit réaliser que le secteur arabe palestinien d’Israël n’est pas un ennemi et ne doit pas être traité ainsi ". Malgré ces recommandations, les violences policières contre ces citoyens se poursuivent.
Autant de faits qui alimentent le débat sur l’État " juif et démocratique ", une question qui est au coeur de la bataille politique mené par les députés arabes à la Knesset : " C’est impossible d’avoir un État de droit ici, estime Mohammed Zeidan. Même quand vous êtes juif vous êtes confronté à des injustices selon votre pays d’origine : Éthiopie, Russie, ou pays arabes, par exemple. Le raisonnement est le suivant : c’est un État juif mais nous allons essayer d’être démocratique ! Entre l’apartheid et un État pour tous les citoyens, ils devront choisir un jour ou l’autre, car être juif et démocratique ne marchera pas. Tout comme je ne crois pas qu’un État islamique puisse être totalement démocratique. "
Face à ces défis, cette communauté semble s’affirmer de plus en plus depuis la période d’Oslo, vue comme déclencheur d’une prise de conscience des " illusions " d’égalité : " Nous avons réalisé que personne ne nous aiderait, étant considérés comme une question interne à Israël, explique le responsable de HRA.C’est donc à nous de faire valoir nous-mêmes nos droits et de faire connaître notre situation à l’extérieur."
Reste qu’avec la nouvelle Intifada, le statut des Palestiniens d’Israël a subi de nouveaux coups, certains officiels remettant clairement en question leur droit à la nationalité israélienne, d’autres proposant de faire passer certaines des localités arabes proches de la Cisjordanie sous souveraineté palestinienne dans le cadre d’un échange de terre et d’un traité de paix : " La Nakba se poursuit, martèle Mohammad Zeidan. Et l’opportunité de transférer à nouveau aussi bien les Palestiniens des Territoires (Occupés) que nous-mêmes est plus que jamais à l’ordre du jour. Les débats sont ouverts sur ce sujet dans les médias israéliens. Les officiels, des membres du gouvernement en parlent sans se cacher. Il y a quelque chose dans l’essence même de cet État qui est dangereux : celui-ci étant défini comme l’État du peuple juif, tout ce qui est entrepris contre les Arabes est quasiment ressenti comme normal dans les consciences. Nous, Palestiniens citoyens d’Israël, avons donc le devoir urgent d’expliquer aux juifs israéliens et au reste du monde quelle est la réalité de cet État. "